Éducation et instruction : deux visages de la formation humaine

publié à 20h

Dans un monde en constante mutation, où l’on parle de réforme scolaire, d’échec éducatif ou de crise des valeurs, deux termes reviennent sans cesse dans le débat public : l’éducation et l’instruction. Trop souvent confondus, ces mots recouvrent pourtant des réalités bien distinctes. Comprendre leurs différences, mais aussi leurs liens, est essentiel pour appréhender les défis éducatifs de notre temps.

L’instruction peut se définir comme l’ensemble des connaissances que l’on acquiert de manière formelle, souvent dans un cadre institutionnel : l’école, le collège, le lycée, puis l’université. Elle repose sur des programmes scolaires structurés, des disciplines codifiées et des objectifs mesurables. Elle s’appuie sur des méthodes pédagogiques, des évaluations et des diplômes. Son but : transmettre des savoirs, développer l’intelligence, préparer à la vie professionnelle et citoyenne.

Historiquement, l’instruction a été au cœur des politiques publiques. En France, les lois de Jules Ferry à la fin du XIXe siècle ont rendu l’instruction gratuite, laïque et obligatoire. L’enjeu, à l’époque, était clair : former une population capable de lire, écrire et compter, et de participer à la démocratie. Aujourd’hui encore, l’instruction est un droit fondamental reconnu par l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Mais l’instruction seule suffit-elle à former des êtres humains complets ? Peut-on considérer qu’un individu est « formé » simplement parce qu’il maîtrise des savoirs académiques ?

L’éducation va au-delà des apprentissages scolaires. Elle vise à former la personne dans son intégralité : son esprit, certes, mais aussi son cœur, sa morale, ses comportements sociaux. Elle concerne les valeurs, les attitudes, le rapport à soi, aux autres et au monde.

Éduquer, c’est apprendre à vivre ensemble, à respecter les règles, à faire preuve d’empathie, à distinguer le bien du mal. Cela passe par la transmission de repères culturels, éthiques, sociaux. L’éducation commence dès la petite enfance, au sein de la famille, et se prolonge tout au long de la vie. Elle implique de multiples acteurs : parents, enseignants, pairs, médias, institutions.

Ainsi, un enfant peut recevoir une excellente instruction — savoir résoudre des équations, réciter des dates historiques ou lire les grands classiques — sans pour autant être éduqué au respect de l’autre, à la gestion de ses émotions ou à la solidarité. Inversement, une personne peu instruite peut faire preuve d’une grande sagesse, d’une conduite exemplaire, et d’un sens profond de l’humain.

La confusion entre éducation et instruction vient souvent du fait que l’école est attendue à la fois comme lieu d’apprentissage des savoirs et comme lieu de formation humaine. Or, les enseignants eux-mêmes s’interrogent : jusqu’où va leur responsabilité éducative ? Où commence celle des familles ? Et quelle est la part de l’environnement social ou numérique dans cette équation complexe ?

Pour Éric Charbonnier, analyste à l’OCDE, « l’instruction fournit les outils intellectuels pour comprendre le monde, tandis que l’éducation donne le cadre éthique pour y agir de façon responsable ». Autrement dit, l’une et l’autre sont complémentaires, mais distinctes dans leur finalité : l’instruction forme des esprits compétents ; l’éducation, des citoyens responsables.

Dans le contexte actuel, marqué par la montée des inégalités, les tensions identitaires, l’impact des réseaux sociaux ou encore la crise écologique, la société attend de l’école qu’elle soit un rempart. On attend d’elle qu’elle transmette non seulement des savoirs, mais aussi des valeurs, des comportements, une capacité de discernement.

Mais cela suppose de revaloriser l’éducation dans toutes ses dimensions. Cela implique aussi un dialogue constant entre l’école et les familles, entre enseignants et éducateurs, entre institutions et citoyens. L’éducation n’est pas l’affaire d’une seule institution : c’est une mission collective.

Des dispositifs tels que les cours d’éducation morale et civique (EMC), les ateliers philo en primaire, ou encore les politiques de lutte contre le harcèlement scolaire illustrent cette volonté de ne plus séparer savoirs et savoir-être. Pourtant, beaucoup reste à faire pour articuler les deux approches de manière cohérente.

La philosophe Hannah Arendt écrivait : « L’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité. » Cette phrase résume à elle seule l’enjeu : il ne s’agit pas seulement d’instruire pour produire des travailleurs ou des consommateurs efficaces, mais d’éduquer des êtres libres, capables de penser par eux-mêmes et d’agir avec conscience.

Dans cette perspective, il devient urgent de repenser l’éducation comme un projet global, humaniste, où l’instruction est une composante essentielle, mais non exclusive. L’école du futur ne sera pas seulement un lieu de savoir, mais un espace de vie, d’engagement, de construction identitaire.

Car si l’instruction apprend à réussir, l’éducation apprend à devenir.

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